Ayant « toujours baigné dans la viticulture », Jacqueline Bories savait ce qui l’attendait lorsqu’elle décida, en 1978, de revendre les deux propriétés dont elle avait hérité à Thézan et Fabrezan pour racheter les parts de sa marraine Marie Huc aux Ollieux. Un pari d’autant plus audacieux que, depuis 1872, et le partage de la propriété par Antoine Teisset entre ses deux filles, le domaine est coupé en deux. « Les Ollieux-Romanis, c’était alors 60 ha en mauvais état. Avec François, mon mari, on a réalisé beaucoup de travaux, des replantations, on a refait la cave en 1988 ».

 


Douze ans après, pourtant, confrontés à des problèmes de commercialisation, les Bories sont tout près de jeter l’éponge. Leur fils Pierre, 28 ans alors, cadre dans une banque dédiée aux grandes entreprises, décide de relever le défi. Rompu aux négociations, il ouvre une première “brèche” dans la grande distribution, tisse ses réseaux dans la restauration locale et parisienne et développe l’export, en Angleterre notamment. En parallèle, il remodèle la gamme des Ollieux-Romanis. « Il n’y avait que deux rouges, le Classique et la cuvée Prestige, de beaux vins, mais qu’il fallait attendre dix ans. Dès 2001, on a créé la cuvée Or, dans le style concentré boisé des rouges haut de gamme “parkérisés”, une bête à concours vite repérée par les journalistes ».
Les ventes décollent. Ragaillardie, Jacqueline s’engage dans la lutte pour la reconnaissance de l’AOC Corbières-Boutenac. « On a fait de la résistance pour défendre les vieux carignans qui donnaient des vins un peu durs peut-être mais qui étaient identitaires. A mes yeux, le cru Boutenac vient de cette résistance. »
Dès que l’appellation reçoit la bénédiction de l’Inao en 2005, Pierre Bories lance la cuvée Atal Sia (“Ainsi soit-il” en occitan), telle une profession de foi. « Ici, on ne peut pas lutter avec les vins les plus réputés dans le style surmûri. On a beaucoup de fruit, mais une base acide, une fraîcheur, un petit amer en finale, propres au terroir de Boutenac. J’ai gardé les bases - carignan, grenache, mourvèdre - et opté pour un élevage de six mois en bouteilles, préconisé par Mathieu Dubernet. Les sommeliers ont “kiffé” la brutalité d’Atal Sia dans sa jeunesse, qu’ils prenaient soin de carafer. Les journalistes ont suivi. Atal Sia a fait plus tard avec le Mas Jullien la Une d’un numéro de la Revue du vin de France consacré aux meilleurs vins du Languedoc ».
En 2006, les Bories rachètent le château les Ollieux (75 ha) et réunifient le domaine originel. En 2009, Pierre succède à Gérard Bertrand à la présidence du syndicat Corbières-Boutenac. « Je connaissais déjà les chroniqueurs spécialisés, ça nous a aidés à faire reconnaître l’appellation qui n’apparaissait en tant que telle dans aucun guide. La grande distribution a identifié Boutenac, les vins ont été référencés dans les restaurants étoilés, chez les cavistes… Tout ça a contribué à la réputation de plusieurs domaines et Boutenac a acquis une bonne notoriété ».
Fort de cette réussite, Pierre Bories plaide la cause des “crus” au CIVL. « A l’instar de Bordeaux, Bourgogne ou la vallée du Rhône, il faut arriver à segmenter le Languedoc, créer une hiérarchie dans une logique de locomotives fondée sur les appellations plutôt que sur quelques vignerons fameux ».
En 2017, tandis que David Latham prend le relais à la présidence du syndicat de cru, Pierre se recentre sur ses terres. « J’ai apprivoisé le terroir en isolant les parcelles, en testant tous les schémas de vinification. Aujourd’hui on a 45 cuvées sur trois domaines (Ollieux-Romanis, Le Champ des Murailles - à l’ouest du massif - et le domaine Pierre Bories, un micro-domaine que j’ai créé sur le versant sud de l’Alaric ».
Jacqueline a le sourire : « Je pense souvent à cet expert qui était venu constater l’état du vignoble au tout début. Il nous avait mis en garde : “Un jour, le lion mangera le dompteur !”. J’aimerais lui dire que le dompteur a dompté le lion ».